L’accord de paix signé entre la RDC et le Rwanda à Washington le 27 juin, continue à faire parler les Congolais et d’autres acteurs du monde.
L’économiste Jean-Felix Tshobo pense que: Dans un contexte où la RD Congo détient à elle seule des ressources critiques essentielles à l’économie mondiale, l’Accord signé avec le Rwanda à Washington revêt une importance stratégique particulière.
Le point 6 de cet Accord, consacré au cadre d’intégration économique régionale, soulève des enjeux majeurs en matière de coopération, de valorisation des chaînes d’approvisionnement et de partage des bénéfices issus de l’exploitation minière.
Cette analyse économique vise à examiner les implications de ce cadre régional, en évaluant les avantages potentiels pour chaque pays et les conditions nécessaires pour que la RD Congo puisse pleinement tirer parti de sa position dominante dans le secteur des ressources critiques.
Aperçu du Point 6 de l’Accord RD Congo-Rwanda
Le point 6 prévoit en résumé :
1. La création d’un cadre d’intégration économique régionale en plusieurs étapes, dans un Accord distinct à formaliser dans les trois mois suivant la signature ;
2. Le développement du commerce extérieur et des investissements issus des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques ;
3. L’introduction d’une plus grande transparence pour bloquer les circuits économiques illicites ;
4. La création de chaînes de valeur minières transparentes et formalisées, de la mine au métal transformé, reliant les deux pays et des partenaires internationaux (notamment les États-Unis) ;
5. La mise en place de mécanismes indépendants d’audit économique et de lutte contre la corruption.
Analyse économique approfondie
Position de départ et atouts structurels
La RD Congo détient le monopole des ressources critiques (cobalt, lithium, coltan et autres), qui sont stratégiques pour l’industrie mondiale (énergies renouvelables, batteries et électroniques).
Le Rwanda ne possède pas ces ressources, mais il est géographiquement proche, dispose d’une stabilité relative, d’infrastructures en développement et d’un savoir-faire reconnu dans la logistique régionale.
Effets attendus du cadre d’intégration
Effets attendus pour la RD Congo
Avantages
Rente de monopole : La RD Congo conserve la propriété et le contrôle de l’extraction des ressources critiques, ce qui lui garantit la rente minière principale.
Valorisation accrue : L’intégration régionale, la stabilité et la transparence attirent des investissements directs étrangers (IDE), facilitent la formalisation de l’exploitation et permettent d’obtenir de meilleurs prix sur les marchés mondiaux.
Réduction des pertes illicites: Les circuits informels et la contrebande, souvent source de fuite de valeur ajoutée, sont réduits grâce à la coopération et à la surveillance économique renforcée.
Effet multiplicateur: Les investissements dans les infrastructures (routes, énergie et transformation locale) profitent à l’économie nationale, créant des emplois et stimulant d’autres secteurs.
Accès facilité aux marchés internationaux: Le partenariat avec le Rwanda et l’appui de partenaires internationaux (États-Unis notamment) améliorent la réputation de la RD Congo et sécurisent les exportations.
Risques
Partage de la valeur ajoutée: La RD Congo devra partager une partie de la chaîne de valeur (transformation, logistique et services) avec le Rwanda et d’autres partenaires, ce qui peut réduire la rente nette si la négociation est défavorable.
Dépendance à la gouvernance régionale: Une gouvernance régionale corrompue pourrait entraîner une fuite des bénéfices au détriment de la RD Congo.
Effets attendus pour le Rwanda
Avantages
Participation à la chaîne de valeur : Le Rwanda peut se positionner sur la transformation, la logistique, le transit, les services financiers et bénéficier de la circulation des biens et des capitaux.
Effet d’entraînement économique: La stabilité régionale et l’intégration permettent au Rwanda de diversifier son économie et d’attirer des investissements dans des secteurs connexes (infrastructures, énergie et services).
Accès à des projets d’envergure : Le Rwanda peut bénéficier de projets conjoints (hydroélectricité, gestion du Lac Kivu et Parcs nationaux) financés par des partenaires internationaux.
Limites
Absence de contrôle sur la ressource : Le Rwanda ne détient pas la matière première stratégique et dépend donc des décisions et de la volonté de la RD Congo.
Partage limité de la rente minière: Les gains du Rwanda proviennent essentiellement des activités de support et non de la rente principale générée par la vente des minerais critiques.
Analyse de la chaîne de valeur minière
Extraction (RD Congo) : Monopole de la RD Congo, source principale de la rente.
Transformation et logistique (RD Congo + Rwanda) : Possibilité de co-investissements, mais la RD Congo reste en position de force.
Exportation (RD Congo, via Rwanda ou Ports régionaux) : Le Rwanda peut capter une partie de la valeur par ses infrastructures logistiques. Toutefois, le Corridor de Lobito offre à la RD Congo une alternative stratégique pour exporter ses ressources et capter davantage de valeur ajoutée localement, ce qui peut équilibrer l’influence logistique du Rwanda.
Ce tableau donne un aperçu sur ledit Accord

Partenariats internationaux : Les deux pays bénéficient de l’appui et des investissements, mais la RD Congo reste le fournisseur incontournable.
Facteurs déterminants pour maximiser le gain de la RD Congo
Qualité de la gouvernance : Si la RD Congo améliore la transparence, lutte contre la corruption et négocie habilement les accords, elle maximisera sa rente.
Capacité de transformation locale : Plus la RD Congo développe ses propres capacités de transformation, moins elle dépendra de la sous-traitance régionale.
Diversification économique : Investir la rente minière pour investir dans d’autres secteurs (agriculture, industrie et services) afin de réduire la dépendance aux minerais.
Stabilité politique et sécuritaire : La stabilité issue de l’Accord est un atout pour attirer des IDE et lancer des projets de développement à long terme.
Conclusion : Qui sera le grand gagnant ?
Sur le plan économique, la RD Congo apparaît comme le grand gagnant du cadre d’intégration régionale, car elle détient seule les ressources critiques. Elle conserve la maîtrise de la ressource stratégique, capte l’essentiel de la rente minière, profite de la stabilité pour attirer des investissements et négocie en position de force.
Le Rwanda bénéficie de retombées économiques secondaires (logistique, transformation et autres services), mais reste dépendant de la RD Congo pour l’accès à la ressource.
Ainsi, la clé du succès pour la RD Congo sera de :
Renforcer sa gouvernance ;
Investir dans la transformation locale ;
Garantir que la valeur ajoutée profite à sa population.
En définitive, le volet économique régional de l’Accord fait de la RD Congo le grand gagnant structurel, à condition qu’elle sache transformer son avantage minier en développement inclusif et durable.
Le Rwanda, quant à lui, profitera surtout de l’intégration régionale et de la stabilité, mais ne pourra jamais égaler la position stratégique de la RD Congo tant qu’il ne possède pas de ressources critiques sur son sol.
Jean-Félix Tshobo Nduka